La critique d’art est l’art de juger les œuvres de l’esprit à travers une traduction du langage artistique en langage logique. Un exercice auquel se prête chaque semaine avec maestria notre critique, Krist, qui nous emporte cette fois-ci dans l’univers de la talentueuse Emma’a, à travers son titre Plus . Découverte.
Se définissant comme le processus par lequel le son est restitué par une salle ou un corps dans le vocabulaire musical, la résonnance s’entendra dans notre analyse comme le rapport entre le sens et la forme où la seconde citée répercute les signes émis par le premier. Ainsi, l’intérêt que nous avons aujourd’hui pour le couplet d’Emma’a dans Plus est porté sur les caractéristiques formelles de son écriture et leur capacité à s’inscrire dans la construction du sens.
Il s’agira alors pour nous d’étudier sa structure et les effets de styles qui le composent afin de l’interpréter et rendre compte de la répercussion du déséquilibre amoureux dans l’écriture même. Soit le texte :
Y’a peu t’étais prêt à tout me donner 10 syllabes
Aujourd’hui je veux tout, pas ton cœur c’est de la monnaie 14 syllabes
J’veux ton cœur plus de monnaie 8 syllabes
Bébé sort les mapesa 7 syllabes
Y’a que moi dans ta cabesa 8 syllabes
Moi loin de toi c’est bizarre 8 syllabes
On vit pas d’amour et de wata 9 syllabes
Moi aussi j’veux quitter le kwatta 10 syllabes
[Tété] mailler le sens tu ne peux pas 10 syllabes
Bébé c’est my name Mami Wata 10 syllabes

Transposés textuellement, les paroles du couplet d’Emma’a dans Plus se présentent comme un poème composé de deux tercets et d’un quatrain. Un fait remarquable est la disproportion des vers de chaque strophe. La première présente un déséquilibre frappant avec des vers longs de 10, 14 et 8 syllabes tandis que le deuxième est constitué de vers longs de 7, 8, et 8 syllabes et que la dernière est formée de 4 vers longs de 9, 10, 10 et 10 syllabes. Quand bien même l’équilibre tend à apparaître, un intrus vient y briser le cycle et interrompre la progression harmonique. Ce phénomène semble-t-il rend bien compte du trouble dans la relation triangulaire formée par Emma’a (je), son amant, (t’) et l’importune « monnaie » : configuration déjà bien posée dans la première strophe.
Cette dysharmonie apparait également dans la composition rimique du couplet par le même phénomène d’intrusion. En effet, la rime riche (3 syllabes répétées) «me donner ; de monnaie» subit un trouble par l’imbrication d’une rime appauvrie d’une syllabe «la monnaie ». Dans la deuxième strophe la chute est d’autant plus brusque le trio « mapesa ; cabesa ; bizarre ». Cette composition apparaît comme une mise en relief de ce dernier terme qui confirme l’idée selon laquelle lorsque que l’harmonie semble s’installer au sein du couple cet élément « bizarre » qui n’est autre que l’intérêt financier ramène le trouble.
De même la rime « de wata; le kwatta; ne peux pas ; Mami Wata » dont la construction, empreinte d’un déséquilibre formel fait écho à la dynamique du couplet. Ainsi, en plus des effets de styles mentionnés ici, le champ lexical de l’eau introduit la symbolique d’une liberté porté par le caractère insaisissable, fugace de l’eau mais aussi de danger par l’évocation de la figure mythique africaine des fonds marins : « de wata; Mami Wata »
Dans la même optique, le rythme du couplet se construit, en plus des rimes, autour d’un effet d’allitération dont la régularité se trouve discordante. La répétition des consonnes [p et t] connaît des fluctuations créant ainsi un bouleversement dans la régularité rythmique du couplet. Nous avons :
Y’a peu t’étais prêt à tout me donner [p ; t ; p ; t]
Aujourd’hui je veux tout, pas ton cœur c’est de la monnaie [t ; p ; t]
J’veux ton cœur plus de monnaie [t ; p]
Bébé sort les mapesa [p]
Y’a que moi dans ta cabesa [t]
Moi loin de toi c’est bizarre [t]
On vit pas d’amour et de wata [p ; t]
Moi aussi j’veux quitter le kwatta [t ; t]
[Tété] mailler le sens tu ne peux pas [t ; p ; p]
Bébé c’est my name Mami Wata [t]
De ce point de vue, la fréquence de prononciation de ces consonnes tend à décroître jusqu’à disparaître puis réapparaît timidement puis ensuite faire un retour imposant et disparaître à nouveau. Ce qui est caractéristique des oscillations de cette machine imprévisible qu’est la relation amoureuse. Par ailleurs, nous lisons à partir de la 2e strophe, et jusqu’au bout du couplet, un effet d’allitération en [s] qu’on pourrait attribuer à la nature sinueuse d’une pareille situation amoureuse. L’image d’une représentation néfaste nous apparait ici par herméneutique à travers la répétition du son [s] que l’on assimilerait aux sifflements d’un serpent connu comme un danger mortel évident.
En somme à travers le style d’Emma’a se répercute le sens de l’histoire qu’elle raconte dans le couplet de Plus feat GNTIK ET T8STA. Le déséquilibre ou même le désordre amoureux devient ainsi un déséquilibre métrique, rimique et rythmique pour rendre compte de la connivence entre sens et forme du texte.
Actualité : Votez pour Emma’a qui est nommée pour la récompense de meilleure artiste d’Afrique centrale à The Headies et aux AFRIMMA Music Awards. Pour notre part, retrouvez désormais une playlist de performance Live sur notre chaine Youtube.
By KRIST
De son vrai nom Jilkrist BINGANA MOMBO, Krist est un artiste et critique d’art gabonais.
Auteur de musique Jazz et passionné par les arts écrits, les articles qu’il propose s’intéressent aux possibilités interprétatives des œuvres d’arts. Il s’agit donc d’utiliser les outils et théories savantes de la critique littéraire pour interpréter des œuvres musicales et autres, afin d’en souligner le génie.